Es-tu un bon garçon?
Je pense que le gars de San Francisco est venu à Montréal pour moi. J’aurais aimé lui réserver plus de temps que trois petites heures, mais j’avais un ami qui restait à la maison. La visite de cet ami a bouleversé ma routine. Il a même laissé du sang sur mon oreiller. Je me demande combien de temps ça va me prendre, m’en remettre. C’est la première fois que je manque le gym trois jours en ligne depuis la réouverture en juin.
J’ai mis mon ami dehors quelques heures pour recevoir le gars de San Francisco.
Il arrive à l’heure avec une haleine de soupe. Je sais qu’il vient d’en manger une parce qu’il l’a partagée sur Instagram. Ça ne m’écœure pas : ça goûte la bonne soupe chaude. Il porte des colliers, plusieurs bagues, un grand t-shirt. Son style a changé. Je me souviens de lui, il y a deux ans, en chemise, des souliers vernis, de belles lunettes, comme un genre d’intellectuel propre. Mais là, on dirait qu’il a voulu adopter le style des garçons sur TikTok, avec ses cheveux longs, séparés au milieu. Plus tard, je lui demanderai son âge, il dira 37.
Il va à la toilette pisser sa soupe. Quand il en sort, on s’embrasse. Son attirance pour moi est évidente : ça me détend. Il m’écrit tout le temps pour que j’aille le visiter, il commente mes photos, je n’ai pas à m’inquiéter de ça.
Dans le lit, je me frotte dessus, mais il a l’air fatigué. Je le laisse tranquille. De toute façon, depuis quand je prends le lead? On se flatte. On parle. Il veut savoir comment dire «You’re a good boy» en français. Cette expression, good boy, m’irrite depuis la sortie de mon livre. Ce n’est plus comme avant, quand c’était pour vrai. Là, c’est comme une blague que les hommes me font, un clin d’œil, alors qu’ils ne l’ont même pas lu, le livre. C’est sûr, ils ne peuvent pas le lire : j’écris en français et c’est une trop petite langue.
On met du temps avant de baiser, mais quand ça arrive, il me prend comme j’aime, sa queue est petite, mais la courbure me fait du bien. Quand je le suce, il me rentre des doigts dans le cul et je suis bien, je ne pense pas à ma cicatrice qui me gêne parfois, j’ai confiance qu’il aime mon trou comme ça, avec le passage du temps imprimé dedans. J’ai vingt-sept ans maintenant et j’ai trouvé la paix. Il m’amène beaucoup de paix, le gars de San Francisco.
Après, quand je me rhabille, il me filme avec son iPhone bleu poudre. Je ne cherche pas à me cacher, je ne change rien à mon attitude, je reste moi-même, avec ma timidité normale, sans l’exagérer. Je suis fier de moi. Il publie la vidéo sur Instagram. On me voit, mince, en caleçon. Il me demande : «Antoine, es-tsou un bon gasson?» Et je réponds : «Yes I am», avec un petit mouvement de tête. Je suis content qu’il publie la vidéo. Il est fier de m’avoir baisé et veut me montrer au reste du monde. C’est ainsi que je me sens le plus à ma place : montré. Moi, je me montre déjà à tout le temps, ça ne me procure plus tellement de satisfaction, mais me faire montrer, wow, ça, c’est indescriptible, c’est comme : un autre accepte d’écrire pour moi.
On s’étend l’un à côté de l’autre et je fais avec lui comme je fais avec tous les hommes que j’amène dans mon lit : je compte leurs doigts plusieurs fois, et mystérieusement, j’arrive toujours à onze, ou neuf. Ça les fait rire. C’est un jeu d’enfant. Mon père faisait ça avec moi, quand j’étais petit : je paniquais et je recomptais moi-même pour arriver à dix.
Est-ce que c’est mal de jouer le même jeu avec chacun d’eux? Je leur fais croire qu’on partage un moment unique, mais c’est tout le contraire : c’est ma routine. Suis-je un fuck boy?
Quand il est sur le point de me quitter, je me dis qu’on pourrait former un couple si on le voulait. Je me place derrière lui et feins de l’enculer.
— Are you a real top or are you vers?
— I’m really vers, actually.
— Really? I never toped anyone, but for you, maybe I would try.
— That’s a good reason to come visit me in San Francisco.
— Yeah.