Je veux un agenda neuf, je le demande
12 septembre 2023
Au party après le film, le gars des costumes me dit qu’il me trouve beau, je pogne toujours avec les gars des costumes, je pense que c’est parce que je suis facile à habiller.
14 septembre 2023
Le préworkout me fait le même effet que prier longtemps. Jésus et bêta-alanine travaillent de la même façon. Ils picotent dans les extrémités pour te donner le courage de foncer.
15 septembre 2023
Il faut que j’arrête de planifier le pire. Il y a tellement de meilleur à venir. Qui m’a enseigné à penser comme ça? Regarde ton agenda, il est plein d’erreurs. Je ne veux pas de cet agenda-là. Babe, regarde mon agenda.
Et là, on rit, on rit, on rit, comme un chef d’entreprise voit ses chiffres pour la première fois.
Au secondaire, au début de l’année, on nous donnait un agenda propre. Il était déjà un peu gâché par des dessins des élèves en arts plastiques, comme pour annoncer chaque nouveau mois sous le signe d’une pire laideur. Les dessins dans les agendas du secondaire, c’est comme les murales à Montréal. Ça n’arrange rien, ça enlaidit, ça rend «cour d’école» notre beau monde autrement plein de potentiel.
Tout ça pour dire que je me souviens du sentiment d’espoir qui s’emparait de moi quand je tournais les pages vierges de mon agenda neuf. L’odeur du papier blanc. Tellement de pages à tourner. Quel crayon vais-je utiliser? Quelle modification vais-je faire à ma calligraphie? Comment écrit ce nouvel Antoine?
Mais après deux semaines, mon agenda était un gâchis. Il était tordu, déchiré, plein de barbeaux, plein de dessins laids. Un torchon sale, trempé de jus de vieux lunchs, une odeur de plomb, de pisse et de barres granolas.
En plein milieu de l’année, Jessica était arrivée au cours de maths avec un agenda neuf.
— Comment t’as fait pour avoir ça?
— Je l’ai demandé.
— Tu peux faire ça?
— Oui, faut juste que tu payes. Tu dis que tu l’as perdu.
— Pourquoi t’en voulais un neuf?
— Parce que y’était écrit «J’aime mon chum» partout dans mon vieux.
— Tu l’aimes pu, ton chum?
Elle avait haussé les épaules. Quelques jours plus tard, elle le laissait pendant qu’il enlevait son casque, encore sur son scooter, dans le parking. J’admirais tellement Jessica, avec son nouvel agenda. Elle avait osé devenir une nouvelle personne.
Je voulais vraiment un nouvel agenda. Mais la différence entre Jessica et moi était là: je n’étais pas prêt à faire les démarches pour en avoir un neuf. Je ne voulais pas devoir mentir en disant que j’avais perdu le mien. J’avais peur qu’on me chicane. J’avais peur qu’on me questionne, qu’on me juge; j’avais peur que mes parents veuillent voir mon agenda, qu’ils me disent que c’est une mauvaise idée, que je pourrais perdre des notes importantes, qu’il est ben correct comme ça, mon agenda. Tout le monde, d’ailleurs, de l’extérieur, aurait dit que mon agenda était ben correct, un bel agenda bien entretenu, un petit gars à ses affaires, quelques dessins par-ci par là, c’est normal, c’est un artiste, voilà. Antoine a un super agenda, il n’a pas besoin d’en changer.
J’écoutais ces paroles-là, inventées, qui résonnaient dans ma tête et, donc, je ne bougeais pas. Je gardais mon agenda sale et c’était tout ce que je méritais.
Aussi, il faut dire que je ne buvais pas d’eau alors, j’avais toujours mal à la tête — donc le courage de ne rien faire de grandiose.
Inutile de mettre ça sur le dos de la soif, cela dit. Premièrement, les excuses ça ne sert à rien et, deuxièmement, j’ai une bouteille de 2,2 L que je vide deux fois par jour, je suis loin d’avoir soif à l’âge adulte, mais je suis toujours le même Antoine défaillant.
Ça suffit.
Aujourd’hui, je fais des plans d’avenir grandioses. Et si ça implique d’appeler quelque part, de risquer de me faire poser des questions, de remplir un formulaire, de compliquer mes impôts, ou même pire: de vendre ma chaise Wassily, de faire rentrer un couch, de déménager à LA, de manger un poulet entier, d’exposer ma peau au soleil de Californie, de pleurer en lisant la plaque de la statue, JE SUIS PARTANT.
Ma nouvelle vie (celle qui me redonne la joie) est en train de me coûter celle d’avant. Assez douloureux, mais ça vaut la peine. C’est de même que ça marche, Antoine, mon boy, t’es en train de comprendre.