Journal de l'appartement
J’ai reçu deux exemplaires de Self-care, le collectif auquel j’ai participé. Ils sont posés là, sur l’enveloppe jaune déchirée, à côté de ma liseuse numérique. Quand l’éditeur m’a demandé si je voulais aller chercher mes exemplaires ou qu’on me les livre, j’ai failli dire : « Je ne les veux pas. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse avec ça ? » Où vais-je les mettre ? À qui vais-je les donner ? Combien de temps ça va me prendre, m’en débarrasser ? Le livre est plus épais que je pensais.
Aujourd’hui, j’ai acheté un peignoir et deux tasses à café. J’ai failli acheter un petit tabouret. Mon personnage n’est pas content.
Il est 19 h 10 et je m’en vais au théâtre. Je me coucherai bien plus tard qu’à 20 h.
Je prends une grande respiration. Antoine, parle-toi. Ce n’est pas vrai que tu vas vivre une vie comme ça, en considérant tout écart comme un échec.
La pièce est mieux d’être bonne.
La pièce était bonne. En sortant du métro, j’écoute le son de mes pas sur le trottoir. Je suis calme. Hier, j’ai bu beaucoup d’alcool, ça m’a fait du bien.
En rentrant dans mon appartement, je remarque que j’ai laissé traîner beaucoup de choses. Le bac à recyclage déborde. Je l’ai oublié la semaine passée. Non, je ne l’ai pas oublié, mais je n’avais plus de sacs. Mais là, j’en ai, et le recyclage passe demain.
Je rêve parfois que j’ai un second journal, un journal papier, celui-là. Il me servirait uniquement à parler de mon appartement, des objets qui s’y trouvent, de ce qui en sort et ce qui y entre, de la lumière (jaune ou bleue), des odeurs. Ce journal me servirait à écrire les soirs de calme, comme ce soir, où tout à coup rien d’autre ne me préoccupe que les meubles et le ménage. J’oserais même dire : les soirs heureux.
À côté de mon lit, les jouets sexuels sont encore chauds. Une fine couche de poussière recouvre le banc de méditation. Il y a un masque sur la chaise verte.
Il est 23 h 12 et je ne me couche pas. Demain, je ne sais pas à quelle heure j’irai au gym. Je ne sais même pas à quelle heure je vais programmer mon réveil. Il y a un an ou deux, je dirais que je me serais mutilé ce soir, à cause de ce manque de discipline. Mais j’évolue tranquillement.