Keto breath
Hier, on a joué à la bouteille et j’ai embrassé quatre gars. Si j’avais eu quinze ans, j’aurais écrit : « Cher journal, hier, c’était le plus beau jour de ma vie. » Mais malheureusement, mes quinze ans sont loin derrière. Dieu met du temps à donner ce qu’on lui demande. J’ai eu le temps d’aller chercher tout ça par moi-même, bien avant qu’il ne lève le petit doigt, et aujourd’hui, les cadeaux de Dieu me laissent indifférent. Dommage.
Sébastien a remarqué ma boucle d’oreille de la même façon que l’avait fait Rebecca Makonnen dans le parc. Je me sens comme un enfant quand des gens que j’admire se mettent à me voir. J’aime ça. Il a dit que c’était une médaille comme on en trouve dans toutes les crisse de chapelles. Il a toujours les mots justes.
En marchant vers la SAQ, vendredi, Tiphaine m’a raconté son cours de marketing. Une des élèves s’est fait dire qu’elle était brillante. Tiphaine a trouvé ça difficile à accepter. Elle voudrait toujours que ça soit elle, la brillante.
J’ai vécu une expérience similaire hier quand tout le monde s’est entendu pour dire que Perez embrassait bien.
Je mange plus de protéines et j’ai peur d’avoir le keto breath, c’est peut-être pour ça qu’on a préféré se taire au sujet de mes baisers.
Mon corps voyage même si, géographiquement, il ne se déplace pas tellement. Tout le monde parle de voyage. Qu’est-ce que tu vas faire cet été, vas-tu voyager ? Ils en font une telle fixation. J’en déduis qu’aucun humain n’échappe au voyage.
Je me réveille à midi avec tous les symptômes du voyage : frissons, perte d’appétit, envie de chier. Je cherche quelque chose à visiter et je ne trouve rien. J’ai hâte de rentrer à la maison, mais je suis bien obligé de profiter de mon séjour ici.
Cette nuit, dans mon rêve, je me suis déplacé dans mon ancien appartement sur la rue Darling. La porte était débarrée, mais il ne semblait y avoir personne. J’ai reconnu la commode que j’avais léguée aux habitants qui m’ont succédé. C’était propre, mais la musique des voisins retentissait encore à côté et en bas. Maudite bonne affaire d’être parti de là.
C’est mon livre Reality Transurfing qui m’a initié aux rêves lucides. La technique est la suivante : à plusieurs moments de la journée, je dois me demander « Suis-je en train de rêver ? » Je dois me le demander sincèrement. Pas obligé de répondre. Après quelques jours, je rêve lucide.
La première nuit après m’être exercé, j’ai parlé à ma mère, mais on était tellement fatigués qu’on disait n’importe quoi.
Dans Ramdam, Mariane se met à pleurer en rentrant de l’épicerie. Victoria ne comprend pas : elles n’arrêtaient pas de faire des blagues dans l’auto, Mariane avait l’air de si bonne humeur. Mais juste avant d’arriver, la radio a fait jouer la chanson préférée de sa mère morte. Mariane pleure parce que, d’habitude, quand elle pense à sa mère, elle entend sa voix, mais aujourd’hui, pour la première fois, elle ne l’entend plus. Elle l’a oubliée.
J’essaie d’entendre la voix de ma mère. Je ne l’entends pas. Je l’imagine avec un verre de vin rouge, ça aide, ça la fait parler plus fort, mais j’arrive à peine à la distinguer. Et je pleure pleure pleure.
Je me réfugie au café pour écrire. Je ne veux plus m’appeler Antoine Charbonneau-Demers, je veux porter un nom de plume, celui d’une femme dans la cinquantaine, et écrire des romans érotiques dans une grande maison avec rien dedans, celle de Lana Del Rey dans le clip de High by the Beach à Malibu.
Demain, à 14 h, j’ai une formation sur l’indépendance financière qui va me permettre de générer mille euros par jour. Ma voisine doit être tannée de m’entendre écouter des vidéos et des podcasts sur la prospérité. L’évidence est criante, doit-elle se dire : ses efforts sont vains puisqu’il ne décolle pas d’icitte.