L'aventure silencieuse
Quand je me suis couché trop tard la veille ou quand j’ai trop peu travaillé à mon goût, je me punis en me contentant d’un repas froid : je ne fais pas chauffer mon lunch au micro-ondes.
Je lis Quiet de Susan Cain. Ce livre me fait comprendre que ma personnalité n’est pas nécessairement défaillante. C’est normal que j’aime mieux la solitude, que je n’éprouve pas un besoin criant de voir des gens, que j’aime mieux les environnements peu stimulants, que je n’aime pas monter sur scène, que le travail d’équipe m’éteigne. Je suis à mon meilleur quand je suis seul.
Chez Costco, hier, j’étais calme, je laissais les autres prendre plus de place que moi. Je les laissais passer avec leur panier plein. Je faisais taire les voix de tous les gens que j’ai connus, les voix qui disent : « Tu dois prendre ta place, ne te laisses pas marcher sur les pieds. » J’étais bien comme ça. Je me contentais de ma nature soumise. Quel confort. Je rentrais mon menton dans mon manteau et je souriais.
Notre monde est dominé par la culture de la personnalité, et cette personnalité aime se montrer, elle est confiante, elle a une bonne poignée de main, elle s’adresse à tout le monde sans timidité, elle réussit à convaincre les autres, à se vendre. Pour atteindre le succès, j’ai fini par croire que je devais me construire cette personnalité. Incapable de me montrer dans la vraie vie, je me montre ailleurs, sur Instagram ou dans un journal. Je montre ce que je veux. Mais serrez-moi la main et vous verrez comme je suis décevant.
Au Conservatoire, on me disait souvent : « Imagine que tu pèses 250 livres, que tu arrives sur scène et que tu es imposant. » Tous les metteurs en scène me l’ont sortie, cette affaire du poids. Et si, un jour, je montais sur scène en oubliant cette consigne ? Et si je montais sur scène, seul avec mon poids plume, ma petitesse ? Et si je disais mon texte sans avoir envie de m’imposer, sans travailler contre ma nature ? Ça pourrait être bon.
De toute façon, je les hais, ces acteurs qui crient, qui utilisent leur corps, qui accèdent à leurs émotions en claquant des doigts, des émotions pas bonnes, qui demandent à ce qu’on ne les regarde qu’eux, ces acteurs que le Conservatoire vénérait. Aujourd’hui, j’ai envie de monter sur scène, comme ça, avec ma petite chemise que je ne remplis pas, avec aucune envie de déborder de ma petitesse.
J’ai tellement travaillé, mais tellement travaillé, contre ma nature. Quand je dis que je ne travaille pas et que je me punis, c’est ça, c’est quand je me laisser bercer par une vie qui me ressemble : ce laisser-aller, cet anti-travail, m’apparaît néfaste et je veux me corriger.
Aujourd’hui, on m’invite à New York. Je refuse. Je dis : la seule raison pour laquelle j’ai l’habitude de voyager, c’est pour faire plaisir à quelqu’un, ou alors pour ressembler à ce garçon aventureux que je ne suis pas. Quand on voyage et surtout quand on voyage avec quelqu’un, on ne peut jamais chier quand l’envie nous prend, on a toujours froid, on est forcé de manger des aliments sucrés qui nous donnent de l’acné, on cherche du wifi pour ouvrir Grindr, on répond aux messages, parce que c’est tout ce qu’un gay cherche en voyage, accumuler les expériences sexuelles, parce qu’en voyage on ne cherche qu’à vivre des choses pour les raconter, et parce que moi, je n’ai rien d’autre à raconter que ma sexualité, mais on ne peut jamais baiser comme ça, spontanément, dans la toilette du musée ou de l’aéroport, parce qu’on a envie de chier.
Je veux rester seul chez moi parce que l’aventure est là.