Le corps d'Antoine
J’étais dans l’auto avec ma sœur quand j’ai appris que les gyms fermaient à 17 h. Je faisais comme si ça ne me dérangeait pas tant que ça, mais j’avais le goût de pleurer.
Elle est venue me porter et je me suis dépêché : j’ai mangé une barre, je me suis coulé un café vite vite et j’ai couru jusqu’au gym. Il était 16 h. J’étais ému de voir tout le monde. C’était donc naïf de ma part de chercher une église ailleurs alors qu’elle était là depuis tout ce temps. C’est plein de gays, le gym, c’est plein de travail, de dépassement, d’ambition, de tout ce que j’aime.
Quelque chose dans l’air était différent, on avait baissé le volume de la musique, comme pour marquer la fin. On se demandait tous pourquoi on n’avait pas chéri davantage nos moments passés ici. Il y en a qui ont des gyms chez eux, mais ce n’est pas tout le monde. J’aimerais un jour avoir mon propre gym, comme cet homme qui lançait des invitations à venir s’entraîner chez lui. Il n’est pas venu me voir.
J’ai eu une pensée pour les gens qui vivaient pire que de perdre le gym, qui ne pouvaient pas voir leur famille à Noël, par exemple, mais honnêtement, cette pensée n’a pas duré longtemps. C’était une pensée obligée.
Je me disais : on travaille fort. Je regardais un homme à la peau blanche, presque translucide, très musclé, on aurait dit que sa viande allait déchirer son enveloppe. Il travaillait fort. Je me suis vu dans le miroir et je me suis dit : j’ai travaillé fort, moi aussi. Si je ne veux pas tout perdre, je vais devoir continuer de manger et commencer à m’entraîner avec des élastiques.
L’employé est venu nous voir un à un.
— Une dernière série, les gars, pis après on rentre.
Qu’il dise les gars, ça m’a fait verser les larmes que je retenais depuis que j’avais appris la nouvelle. Je repensais à l’enfant que j’étais dans les cours d’éducation physique, et aujourd’hui, ici, ma condition avait évoluée, j’étais devenu un des gars.
Mon entraînement avait été inefficace ; l’émotion m’avait empêché de bien performer.
Arrivé chez moi, je cherchais sur Instagram d’autres gays qui se plaignaient de la fermeture des gyms. Je réagissais à leurs stories avec des emojis tristes ou en colère.
Je n’ai pas assez mangé hier. Ce matin, mon corps me nargue déjà. Il reprend sa forme normale, tranquillement, comme la petite sirène retrouve sa queue de poisson, comme le carrosse de Cendrillon redevient citrouille. Le corps d’Antoine est un corps maigre, un corps d’Halloween, un corps de personnage qui échoue.