Ma petitesse
Je pose ma tête sur la poitrine de l’homme avec qui je viens de faire l’amour. Ma joue est trempée. Il me demande sur quoi j’écris. Je n’ai pas envie de parler du livre sur lequel je travaille, alors je lui parle de celui que j’écris lentement dans ma tête, ce livre sur la nature, la forêt et les fées. Je lui parle des fées que j’ai vues. Il ne rira pas de moi; il m’a déjà décrit sa rencontre avec des extraterrestres sur une île dans l’ouest. Je lui parle en cherchant mes mots, en anglais. Mon roman sera aussi une réflexion sur ma nature. Il traduit ça par «tempérament», ça me déstabilise. Il me demande comment je décrirais mon tempérament. Je lui confie que je me sens petit. J’ai l’impression que mes ambitions ne correspondent pas à ce que l’univers a prévu pour moi. Il me demande quelles sont mes ambitions. Je suis gêné de lui dire que je veux beaucoup de succès.
Il me dit qu’au Québec il rencontre beaucoup de gens qui ont des petites vies. Et c’est exactement ça le sentiment que j’ai : une petite vie m’est destinée, mais je ne l’accepte pas.
Il me demande ce que je fais cette semaine. Demain, je me fais interviewer à la radio. Lui, quand il se fait interviewer, il exige toujours qu’on lui envoie les questions avant, c’est à prendre ou à laisser. Je lui dis que moi, je ne suis pas rendu là, je suis encore petit.
Il veut que, si j’écris sur lui, j’utilise le prénom River. Ça me touche qu’il voie ça comme un jeu. Peut-être pense-t-il que personne ne me lit.
On fait l’amour une deuxième fois et je me demande si, ce que River aime chez moi, ce n’est pas justement ma petitesse.