Sainte-Hideur-de-la-Laideur : ce que je pense de moi (texte drôle)
À la bibliothèque, je ramasse tous les livres qui parlent de fées. Si quelqu’un m’intercepte, quelqu’un qui cherche une pièce à jouer pour ses auditions — parce que c’est toujours pour ça qu’on se retrouve à la BANQ — je vais lui dire : j’ai tellement d’apparitions féériques, je cherche des réponses à mes questions. Chaque fois que je croise le beau River, d’ailleurs, il se souvient que j’écris un livre sur les fées. Ça me touche tellement qu’il se souvienne de ça. Mais il ne veut plus de moi.
Alors, je prends : La grande encyclopédie des fées, Le vrai visage des fées, Enquête sur l’existence des fées et des esprits de la nature, Les fées : gnomes, ondines et salamandres, La République mystérieuse : elfes, faunes, fées et autres semblables et La Bible des fées.
Avec mes sourcils jaunes, je sais que je ne suis pas ce que l’on pourrait appeler beau. Mais ça me va comme l’alcool : la laideur est infecte, mais on s’en reverse.
Un homme dort par terre dans le wagon, la tête appuyée contre la porte. Quand elle s’ouvre, ça le réveille. Mais dès qu’elle se referme, il se replace. D’habitude, je me dis toujours quelque chose quand j’assiste à des scènes comme celles-là. Mais là, je ne me dis rien.
Je ne me dis plus jamais rien.
Si on écoutait dans ma tête, il n’y aurait rien.
Ça, c’est depuis hier soir, parce que, avant, c’était l’enfer. Samedi, j’ai tourné une scène porno avec un gars dans Rosemont, et tout allait bien. Même que, après, j’étais léger, je me disais : quelle belle nouvelle carrière. Mais, le lendemain, je me suis mis à douter de moi en regardant les premières images. Il faut que je rentre mon ventre. Je n’ai pas de gros ventre, mais il faut que je le rentre quand même quand on m’encule, ça fait plus beau. Là, on dirait que j’ai trop d’organes par rapport à la demande de mon petit corps. Il a pas besoin d’autant d’organes, lui, se disent les vieux fifs de la rive sud. Je sais que la vie est un long apprentissage, mais après un Conservatoire, il me semble que je devrais être plus agile.
Dimanche, je pensais à tellement de choses, je me dévalorisais tellement, je me voyais tellement comme un échec, comme un ratage et un gâchis (ai-je atteint le sommet de ma carrière d’artiste à vingt-trois ans ?) que j’avais mal au cœur, même que pour la première fois de ma vie je me suis dit : ça me prendrait quelqu’un, une présence pour apaiser mes tourments. Quelqu’un qui soit dans mon lit, quelqu’un avec qui manger mon petit lunch, quelqu’un qui me raconte sa journée. Pour la première fois de ma vie, je me suis senti seul. Par chance, ça n’a duré que quinze minutes.
Ma voisine déménage. Des gens sont venus l’aider. J’entendais leurs voix. Ils cherchaient un moyen de sortir le sofa. Je leur ai proposé de leur ouvrir ma porte et de rentrer chez moi pour tourner le coin. Et j’ai vu le visage de ma voisine. Elle avait le teint gris que je reconnais toujours. C’est le teint des traitements contre le cancer. Il n’y a pas deux gris comme ça. Une petite tuque, un genre de petit duvet blanc sur les joues. Sur le coup, j’étais tellement en train de penser à moi qui devais me rentrer le ventre que j’ai pensé cancer deux secondes, mais je l’ai oublié tout de suite. Plus tard, je l’ai entendue pleurer dans les bras de son amie. J’ai hésité à appuyer l’oreille contre le mur pour écouter. Mais je ne l’ai pas fait. J’étais trop préoccupé par moi — j’en faisais une folie.
Après, j’ai passé l’après-midi à chercher une méditation guidée sur YouTube sans jamais en choisir une.
Je prends ma douche avant d’aller en date et, pendant que je suis dans la douche, j’annule ma date, les doigts pleins d’eau sur mon téléphone. Je n’ai pas envie d’aller dans Griffintown. Je sors de la douche pour me mettre de la crème et là, je réalise : c’est sûr qu’elle a le cancer. Je m’assois sur la petite chaise verte, celle que j’interdis aux invités parce qu’elle est brisée et qu’elle risque de casser, celle sur laquelle je ne m’assois jamais. Je dégoûte encore de l’eau de douche et je me dis : wow, ma voisine va mourir comme ma mère.
Je ne me dis pas ce n’est pas grave que le meilleur de ta carrière soit derrière puisque regarde, les gens meurent à quarante ans, non. Je ne me dis rien.
Depuis ce moment, donc, il ne se passe plus rien dans ma tête. J’ai la paix. La paix que je souhaite à ma voisine et la paix dans laquelle j’espère que ma mère se trouve à présent (j’en doute, lol). La paix que je souhaite à mon père et ma sœur. La Sainte Paix.
J’aime bien le livre de Thérèse d’Avila que je suis en train de lire parce qu’elle n’arrête pas de dire à quel point elle ne se trouve pas bonne, misérable et défectueuse. Et c’est une Sainte. Alors, tiens, vraiment pas grave, ce que je pense de moi, finalement. Quand je fronce les sourcils devant la médecin pour qu’elle dise si j’ai bientôt besoin de Botox, elle fait le saut, comme si j’étais un monstre de hideur, et au lieu de m’en faire avec ça, je me mets à rire. J’en ris encore.
Bou ! Hahahahahhahahaha