Un fils qu'on ne peut pas aider
J’ai fait un détour en allant au gym parce que je voulais profiter de la chanson que j’écoutais, je ne me souviens plus de laquelle. Je me suis arrêté devant un tableau accroché à la clôture d’un jardin communautaire. La pluie l’avait mouillé. J’ai vu maman et moi dans les personnages, même s’ils avaient les cheveux jaunes. J’ai pris la peinture en photo. Maman portait des salopettes. Je ne m’en souviens pas, mais j’ai vu plusieurs photos d’elle en salopette avec moi, enfant, dans ses bras, ou à côté d’elle.
Le décor dans lequel les personnages marchent ressemble à un décor dans lequel ma mère aurait voulu marcher. Je pense que, quand elle songeait à une autre vie que la sienne, elle s’imaginait dans la végétation.
Ma mère aurait été calme, en marchant, elle m’aurait appris le nom des plantes, et elle aurait volé des graines, c’est pour ça le sac à main. Mais son calme aurait été feint. Ça aurait été juste un mime de la lenteur. Quand elle voulait se calmer, elle se mettait à ralentir, mais je ne pense pas que ça fonctionnait. Je fais pareil et, pour moi, je le sais, ça ne fonctionne pas.
Moi je la suivrais, donc, enfant, mais je n’écouterais pas ce qu’elle dirait. Je serais trop préoccupé par la sécurité. Il n’y a pas de garde-fous pour empêcher les personnages de tomber. J’aurais voulu protéger ma mère, me protéger moi, ça aurait été un moment très stressant. Ma mère aurait été déçue que je sois incapable de m’abandonner à la beauté des fleurs et de leur reflet dans l’eau. Mais elle n’en aurait pas plus été capable.
En détachant mes yeux de la toile, j’ai vu le jardin communautaire derrière. Je jardinais avec maman quand j’étais petit, mais j’ai arrêté. Comme la cuisine. Je faisais plein d’activités avec ma mère que je ne fais plus. Ma mère m’inspirait, mais depuis qu’elle est morte, on dirait que j’essaie de changer mes centres d’intérêt. Pas pour l’oublier, surtout pas, mais pour ne plus avoir besoin d’elle. Parce que je trouve que c’est ça, l’épreuve insurmontable du deuil, je le dis souvent : elle me manque dans le sens que j’ai besoin d’elle. J’ai besoin d’une information, d’un conseil pratique, d’une idée, d’une référence.
J’essaie de devenir un fils que ma mère n’aurait pas pu aider de toute façon. Comme si sa mort ne me causait pas grand tort, finalement. Depuis son décès, je me concentre sur le sport, ce qu’elle ne comprenait pas. Je me souviens même d’une phrase qu’elle a dite : «Moi, j’aime pas la mentalité de “T’es pu capable, mais tu continues quand même.”» Elle avait dit ça quand on écoutait Qui perd gagne.
En janvier, je vais commencer les cours pour devenir entraîneur personnel. Quand je l’annonce à des proches, beaucoup sont étonnés. J’aurais pu décider de suivre des cours d’arts plastiques, des cours de yoga, des cours à l’université, me faire créditer un bac, commencer une maîtrise; mais toutes ces choses-là me ressemblent trop, ça lui ressemble trop. Si je me lançais là-dedans, j’aurais toujours envie de lui en parler. J’ai choisi le conditionnement physique parce qu’elle détestait ça, et parce que c’est peut-être cette aversion qui l’a tuée, aussi, je ne sais pas.