Vendre ou rénover au Québec
Le confinement, ça génère de l’écriture d’écrivain, une écriture tournée vers l’écriture, une écriture en trou. Elle est aussi toujours la même. Autrement dit, j’ai hâte de sortir parce que, ce qui me passionne, cher journal, c’est de te raconter des histoires.
Des amis m’ont incité à traverser le confinement en regardant Vendre ou rénover au Québec. Des couples ne s’entendent pas. L’un veut changer sa condition en achetant une nouvelle maison, et l’autre ne veut pas bouger. Ils se disputent devant la caméra, mais ils ne sont pas acteurs.
Jeudi, des ouvriers sont venus refaire le toit chez moi. Le bruit m’a réveillé. Il y avait échelles devant, derrière, la maison était prise d’assaut. On les entendait crier en lançant les déchets dans le conteneur. Vers la fin de l’avant-midi, ils ont ouvert le puits de lumière dans la salle de bain. Des débris tombaient sur la céramique immaculée, du goudron chaud dégoulinait sur la toilette. L’hiver entrait dans ma petite salle de bain. Je devais me retenir de chier par peur que les ouvriers me voient ou qu’ils me jettent quelque chose en me traitant de tapette. Leurs conversations me parvenaient comme s’ils étaient dans la pièce. Ça revenait toujours à la sexualité. On est tous pareils, que je me suis dit. L’un d’eux était atteint de dysfonction érectile.
Je suis parti en ski avec mes amies. À ce moment-là, j’aurais aimé avoir une voiture. La veille, j’avais eu mon premier cours d’entraîneur, et cette journée de ski m’a confirmé que j’étais passionné par le sport. Il y a des choses, comme ça, qu’on s’interdit de faire parce que, une fois, on a eu froid, on est tombé, on s’est fait traiter de fille dans la cour d’école enneigée, alors ça vous décourage des sports d’hiver pour toute une vie. J’aimerais transmettre la passion du sport à celles et ceux qui ont eu de la peine dans des lieux de sport. J’aimerais leur dire : «J’étais comme vous» et ça serait vrai.
Au retour du ski, j’ai reçu un texto de mon propriétaire. Le toit coûterait plus cher que prévu. Il m’écrivait pour que «ça ne soit pas une surprise.» Me fera-t-il payer son toit? Il me proposait aussi son aide pour nettoyer les dégâts, mais je n’en voulais pas.
J’ai nettoyé en pensant que, peut-être, je ne pourrais plus m’offrir cet appartement. Je regardais les armoires de la cuisine et je me disais : j’aime cette mélamine. Je l’ai flattée, craignant de la perdre.
Vendredi, les ouvriers sont revenus. J’étais prêt à les accueillir. Je me suis entraîné sur ma pull up bar. J’avais enlevé mon chandail. Quand ils sont partis, je suis allé m’acheter de la bière sans gluten, je me suis assis devant Vendre ou rénover avec ma casquette et j’ai roté. Je me sentais dude. Je ne voulais plus écrire, je voulais travailler. Je voulais un condo et une voiture, peut-être même une maison de banlieue pareille aux autres.
Avant que mon premier cours débute, tout le monde s’est mis à parler d’opportunités de carrière. La prof nous a demandé pourquoi on était là. Les autres voulaient intégrer le marché du travail. J’étais le seul qui voulais poursuivre ma démarche artistique s’intéressant au corps homosexuel. Le pire élève du groupe. Une plaie.
Peut-être que je devrais me rallier. Me trouver une job. Peut-être qu’une vie plus heureuse m’attend sur le marché du travail. Mes livres sur comment devenir millionnaire seraient déçus de moi. Ils me diraient : « Voyons, Antoine, tu le sais que travailler pour un salaire, c’est courir à ta perte. » Mais je leur dirais : « Crisse, ça va me tenter un jour de faire plus que quinze mille par année! » Ils diraient : « Pourquoi tu ne lances pas un OnlyFans, pourquoi tu publies pas tes livres à ton compte? » Je leur dirais : « Ah, vous m’épuisez » et ils rétorqueraient : « Pis tu penses qu’une job payée à l’heure, c’est pas épuisant, ça? »